La femme lion

Le roman s'ouvre par une polyphonie, lors d'un show dont on ne connaît pas la teneur. S'agit-il d'un numéro de cirque ? On se trouve confronté à un échange entre un Monsieur Loyal et « l'artiste », une voix douce-amère, qui reconnaît qu'elle a choisi ce qui lui arrive, en cet instant précis. Et le rideau s'ouvre sur la vie d'Eva, alias « la femme lion ». Et la question est bien de savoir s'il s'agit d'un numéro de cirque. Eva est née dans une petite ville de la province norvégienne. Sa mère meurt en lui donnant naissance. Gustav, son père, s'épouvante lorsqu'il aperçoit le nouveau-né : l'enfant est recouvert de poils, de la tête au pied. Gustav ne veut pas voir « ça ». « Ça » doit tout de même être baptisée : elle sera Eva, Eve, la première femme de la création, chassée du Paradis. Eva est née avec un syndrome rarissime : hypertrichosis lanuginosa congenita, hirsutisme, si l'on préfère. Ces poils vont pousser, lui donnant l'aspect d'un animal à fourrure. Hormis cela, elle est en parfaite santé. Tenue enfermée dans la maison, Eva apprend le morse et dévore les livres. Mais elle est une anomalie, et le monde l'arrachera à ce cocon : c'est d'abord une feuilletoniste qui révèle son existence, puis un professeur d'Oslo qui l'examine, et puis l'école, où elle devient bouc émissaire. Elle sera présentée comme un « cas » lors d'un congrès mondial de dermatologie à Copenhague, au milieu des années 1920. Et la science se fait l'allié objectif de la perversion, puisque l'un des éminents professeurs abuse d'elle sous couvert d'un examen gynécologique. Jusqu'à ce que, un jour, la troupe du cirque du Dr Joachim l'accueille affectueusement. Aucun ne lève un sourcil face à la « différence ». Le Dr Joachim lui promet qu'elle ne sera plus seule, qu'elle sera riche et verra le monde entier : son travail ne consistera qu'à être elle-même. On comprend alors l'ouverture du roman. Erik Fosnes Hansen orchestre son récit de main de maître, jouant sur presque tous les registres de l'écriture. Il se sert de la Bible, de l'Histoire, des légendes et des mythes, du langage scientifique. Il se montre ironique et sarcastique, émouvant et dérangeant. Sans misérabilisme, il nous livre un grand roman allégorique, à la fois conte fantastique et hymne à ce qu'il y a d'authentiquement humain dans l'homme, malgré toute la cruauté et la perversité du monde.