Sans avoir la radicalité d'un Ulysse de Joyce, du Bruit et la fureur de Faulkner ou encore de la Promenade au phare de Woolf, la décennie 1920 ouvre la voie d'une spectaculaire évolution. Les influences sont fortes, que l’on pense à la psychanalyse (l’œuvre de Freud est dans les années 1920 massivement traduite en Europe et aux États-Unis), aux philosophies d’un Bergson ou d’un William James qui renouvellent l’approche de la psychologie et le la métaphysique, au cinéma qui fait nous fait entrer dans une nouvelle dimension de l’imaginaire et bien d’autres choses encore. Certainement la conception positiviste du monde telle qu’elle fut au XIXe siècle s’est perdue dans les infernales tranchées de la grande guerre. Et le monde nouveau qui s'élève après 1918 réclame un œil neuf. Certains romanciers se veulent à l'avant garde de tous ces changements. Ce qui explique pourquoi la décennie est en matière littéraire si intense.
Que l’on songe à Berlin Alexanderplatz de Doblin qui est une l’exploration des bas-fonds de l’Allemagne après la première guerre, un des grands romans qui interroge l’homme qui s’est relevé – brisé – de la guerre, mais qui est aussi un des grands livre sur la villes tentaculaire ; ou au Loup des steppes de Hermann Hesse, où on rencontre un personnage sans illusions, désabusé, en pertes de repères dans le monde moderne. On peut aussi évoquer La conscience de Zeno d’Italo Svevo, cet ami de Joyce, qui fait partie des grand romans introspectifs qui laisse une large place à la psychanalyse.
Si certains romanciers mettent dans leur fictions la désagrégation des valeurs bourgeoises, comme chez Emmanuel Bove, c'est sans doute pour mettre en évidence les difficultés que rencontrent les artistes à « dire le réel ».
Du côté de l’invention formelle, André Gide dans Les faux monnayeurs, multiplie les intrigues et les points de vue dans un roman qui met là aussi en évidence la complexité à dire l’unité du réel au travers de la fiction, l’utilisation du monologue intérieur ou du flux de conscience se répand dans les romans comme chez Larbaud ou Pirandello.
La révolution romanesque initiée au cours des années 1920 est ainsi la marque d’un profond changement dans la manière de concevoir et d’écrire un roman.
Photographie : première édition de La coscienza di Zeno, Milan, 1930.