Alexandre ou qu'est-ce que la vérité ?

Après sept livres (romans, nouvelles), qui ont permis " d'acclimater " cet auteur si profondément original auprès du public français - et notamment la parution, en 2005, de l'une de ses plus grandes ouvres, On a marché sur la Lande, couronnée par le Prix de Traduction SGDL/Gérard de Nerval -, ce huitième volume de notre édition des Ouvres d'Arno Schmidt vient s'inscrire dans la série des textes " antiques ", déjà illustrée en 2006 par la traduction d'un autre très beau récit : Cosmas ou la Montagne du Nord. Mais, comme toujours chez Schmidt, le détour par l'Antiquité, tout sincère et passionné qu'il soit, ramène par de nombreuses allusions aux problèmes du temps présent. Alexandre raconte la descente de l'Euphrate d'un jeune élève d'Aristote en compagnie d'une petite troupe de comédiens rencontrés par hasard. Il va rejoindre son oncle qui est un des officiers de la garde rapprochée d'Alexandre le Grand à Babylone. Au fil de son voyage et des discussions avec les comédiens notées au jour le jour dans son journal, il perd peu à peu ses illusions sur le conquérant qu'il adulait plus que tout. La belle chanteuse et danseuse Monika achève de le déniaiser, tandis que le tyran agonise, empoisonné. Avec sa précision tatillonne coutumière et des anachronismes revendiqués comme tels, Schmidt brosse ici les derniers jours de l'empire macédonien à l'aide d'un récit qui est une sorte de petit " roman d'initiation " à rebours. Le débriefing du jeune narrateur est radical et féroce. Il s'agit évidemment d'une distanciation au sens brechtien du terme, qui doit éveiller dans l'esprit des lecteurs la problématique de l'adhésion en masse du peuple allemand et de certains intellectuels à un régime mégalomane et sanguinaire.