Alice dans l'ombre

« L'un de nous deux ne sortira pas vivant d'ici. » C'est une petite voix intérieure, une voix aux accents enfantins, qui nous trotte dans la tête comme une ritournelle obsédante ou un parfum envoûtant. C'est la voix singulière et poétique d'Alice qui, sans crier gare, nous happe et nous entraîne irrésistiblement au centre de son univers - fait de nostalgie, de peurs et de rancoeurs - pour mieux nous enchaîner au récit de sa vie. Une vie solitaire, hantée par l'absence d'un père adoré et oppressée entre les quatre murs d'une imposante villa italienne où les volets ne laissent que rarement passer le soleil. Une villa-labyrinthe d'où Alice n'aspire qu'à fuir pour reconquérir sa vie perdue, sans cesse épiée par l'ombre de Maxi, le mari dévoré par un amour possessif, et poursuivie par la haine d'Elena, cette mère si hautaine et si froide. Sans compter la présence de Sofia, l'énigmatique et très belle « amie de maman ». Entre les membres de cet effrayant quatuor familial, rongé par le secret et la jalousie, se nouent les fils d'un drame inévitable, que viendra précipiter un cinquième élément perturbateur. Par une habile construction en courts chapitres - semblable à la respiration hachée de la victime - où s'entremêlent passé et présent, B. Garlaschelli nous plonge d'entrée dans une atmosphère étouffante, où s'insinue page après page, en un rythme crescendo, un sentiment d'angoisse et de malaise perceptible qui nous conduit inexorablement vers une fin tragique. A mi-chemin entre Qu'est-il arrivé à Baby Jane ? et la noirceur des pièces de Tennessee Williams, un huis clos implacable qui nous laisse haletants et horrifiés après un jeu de cache-cache digne des plus grands suspenses.