Le pays qui vient de loin

Jérémie a dix-huit ans, il quitte la maison de sa mère, Lara. Il veut rompre avec son enfance et projette un retour aux sources à la ferme de ses grands-parents, dans ces Alpes-de-Haute-Provence où il a passé les toutes premières et plus belles années de sa vie. Mais dès son arrivée, il doit faire face à sa première épreuve d'adulte : son grand-père, Samuel, vient de mourir. Alors que Jeanne, sa grand-mère, l'installe dans la maison, il se trouve brutalement confronté à son père dont il était séparé depuis des années. La surprise est totale pour Daniel qui retrouve dans des circonstances abruptes un fils qu'il s'était résigné à ne plus revoir. Jeanne dans son télégramme l'avait simplement averti de la mort de son père, dont il s'était tenu éloigné depuis son départ du pays, quatorze ans auparavant. À l'époque, Daniel avait choisi d'abandonner la ferme pour une vie plus urbaine et plus conforme aux désirs de sa femme. Décision qui s'était révélée un leurre aux graves conséquences. Car Lara l'avait très vite quitté pour un autre homme et subtilement éloigné de son fils, remplaçant le père de Jérémie comme elle avait remplacé son mari. Malgré leur méfiance première, c'est une aubaine pour Jérémie et Daniel de se retrouver ensemble, perdus dans une contrée isolée. Tous deux, ils sont réunis autour de la dépouille de Samuel, dont ils doivent honorer la mémoire et terminer le travail. Père et fils vont s'apprivoiser mutuellement autour du noble ouvrage du patriarche, la coupe de bois. Ils sont assistés par Paul, l'ami le plus proche de Jeanne et Samuel. Porteur de mémoire, Paul, le seul témoin de la mort de Samuel, s'est vu implicitement confier par ce dernier une mission de réconciliateur : il permet à Jérémie et Daniel de renouer avec leur passé et aide les deux hommes à se rapprocher. Tous les deux on se fabrique un père plus une enfance à la carte, tu trouves pas ? dit Jérémie à son père, conscient de leur progression conjointe. C'est une quête des origines qu'André Bucher nous donne à lire ici, à travers ce vrai roman d'apprentissage. Au sens propre du terme, puisque Jérémie va apprendre le métier de bûcheron jusqu'à décider de rester à la ferme. Père et fils vont aussi découvrir la tendresse filiale : leurs retrouvailles d'écorchés, mêlées de ressentiment et d'amour, sont évoquées avec réalisme et finesse. Mais surtout, ces deux hommes découvrent ensemble que leurs véritables racines plongent dans leurs enfances et dans l'amour profond qu'ils vouent à une nature âpre et grandiose. André Bucher parvient à faire ressurgir, dans ce lieu magique et habité, imprégné de présences païennes, un passé essentiel pour des personnages en quête d'identité : à la fin du récit, Daniel et Jérémie n'auront pas rattrapé le temps perdu mais ils se seront bâti un passé et des souvenirs et auront reconstruit autour de la figure centrale du grand-père, dont la présence hante le roman, leur propre rapport au monde. Ce roman à l'écriture profonde, qui vient de loin, dont la langue est riche de contrastes, parfois brutale mais toujours poétique, donne à son auteur l'occasion de dire tout son attachement à la terre et sa quête des valeurs simples. André Bucher a su trouver les mots. Son livre, bouleversant de sincérité, traite sans fausse pudeur ni sentimentalisme des relations filiales. Un hymne aux grands espaces, pour des personnages en proie à l'aventure intérieure, qui affrontent leurs démons en un huis clos fascinant.