Loving the alien

Policier, science-fiction, fantastique, quel que soit le (mauvais) genre auquel elle emprunte, Nina Allan fait avant tout partie des romanciers et romancières les plus brillantes de ce premier quart de siècle.

Même si les fils des intrigues qu'elle noue avec virtuosité vous donnent votre compte d'émotions, de surprises et de frissons, c'est toujours l'humanité de ses personnages qui l'emporte. La justesse, la subtilité avec lesquelles elle décrit leur cheminement et les fait se mouvoir évoquent une réalisatrice, virtuose de la direction d'acteur (enfin, ici surtout d'actrices), qui de ses mots donne naissance dans votre tête à un film d'une vérité confondante.

Pour autant, si puissante que puisse être l'illusion de réalisme qu'elle déploie, Nina Allan est dans une démarche absolument contemporaine, et fait confiance à ses lecteurs et lectrices pour faire le tri dans ce qu'ils voient, dans les motivations des personnages, dans la nature de ce qui semble être en train de se dérouler sous leurs yeux. Point ici de vérité à l'emporte-pièce, de résolution définitive de toutes les énigmes, mais scènes chargées d'émotions, point de narrateur omniscient tout-puissant assénant ses convictions et ses certitudes, mais la vie, ses tiraillements et ses hésitations, ses doutes qui sont la plus sûre part de notre humanité.

Et il faut tous ces talents et cette rectitude pour s'attaquer avec un minimum d'élégance et d’honnêteté intellectuelle au sujet du complotisme, même si cet ingrédient n'est que l'une des composantes du roman. Franck, jeune anglais brillant et attachant dont la santé mentale a chancelé plusieurs fois, disparaît un beau jour après s’être rendu sur le continent rencontrer les membres d'une communauté virtuelle persuadés de la réalité d'une guerre extraterrestre. Sa compagne Rachel embauche Robin, une détective privée qui partage avec Franck la passion pour la musique de J.S. Bach. Où est Franck ? Qui sont les complotistes ? Quel est leur crédo ? Comment s'y rattache leur goût pour la littérature de Science-fiction, le cinéma expérimental ou la musique savante contemporaine ? D'où vient la musique de Bach ? Autant d'énigmes gigognes qui valent plus par les questions qu'elles posent que pour leur résolution. En ouvrant son roman sur d'autres textes enchâssés, Nina Allan alimente son récit, mobilise notre imagination et notre sensibilité.

Excitant notre sens critique d'un côté, et d'un autre, dosant avec une précision maniaque l'empathie qu'elle peut éprouver pour ses personnages, Nina Allan nous permet donc de nous situer librement par rapport à eux, et nous invite finalement à nous poser LA question centrale de ce roman : quelles sommes d'errements est-on prêt à accepter de ceux que l'on aime, et comment se conjugue l'amour et l'incompréhension ?